La discipline de l’ultra-trail : un phénomène mondial

Des crêtes des Pyrénées aux sentiers suspendus de la Réunion, l’ultra-trail fascine et attire de plus en plus d’adeptes à travers le monde. Selon l’International Trail Running Association (ITRA), plus de 1,7 million de personnes figurent dans leur base de données, et plus de 25 000 courses sont organisées chaque année sur la planète.

Le trail running se décline en plusieurs formats — du trail découverte de moins de 21 km jusqu’aux ultra-trails dont les distances dépassent 80 km. La distance mythique de 100 Miles (environ 165 km) est souvent considérée comme la discipline reine, bien que certaines courses atteignent aujourd’hui 300, 500 voire 700 km, à l’image du réputé Tor des Géants dans les Alpes italiennes ou encore de la Double Suisse-Pick.

Un engouement plus profond que le simple sport

Pourquoi cette passion mondiale pour une pratique si exigeante ? Au-delà du défi physique, l’ultra-trail séduit par son lien intime avec la nature, sa capacité à offrir une évasion mentale et un retour au soi. Il incarne une philosophie de vie centrée sur le dépassement de soi, la pleine conscience et la recherche de sensations profondes. Cette expérience est bien plus qu’une simple activité sportive : c’est un voyage introspectif autant qu’un exploit physique.

Quand la science s’invite dans la course

L’ouvrage collectif Les Sentiers de la Science est le fruit de 40 chercheurs issus de disciplines diverses, réunissant leurs expertises pour explorer l’ultra-trail sous toutes ses facettes. L’un des projets majeurs documentés est le protocole expérimental mis en œuvre lors de l’ultra-trail de Clécy (Suisse Normande), considéré comme un véritable laboratoire à ciel ouvert pour étudier les limites humaines.

Ce protocole a permis d’analyser une multiplicité de variables physiologiques et mentales grâce à des mesures continues et une surveillance innovante sur 56 coureurs, à la fois amateurs et professionnels.

Démystifier les croyances autour du trail

L’ultra-trail traîne avec lui son lot de mythes, malgré des avancées scientifiques significatives. Selon la littérature spécialisée, la performance en ultra-trail repose sur la combinaison complexe de plusieurs compétences : résistance musculaire, capacités respiratoires, gestion de l’alimentation, glycémie, sommeil, motivation, stratégie de course, et même techniques de foulée.

À l’inverse des disciplines courtes, l’ultra favorise davantage l’endurance mentale et la stratégie sur la puissance brute. Fait remarquable : les recherches montrent que les femmes sont capables de rivaliser — voire surpasser — les hommes sur les longues distances, avec un écart qui diminue au fur et à mesure que la distance augmente.

Mais étudier en situation réelle les interactions entre glycémie, force musculaire et privation de sommeil reste un véritable défi scientifique. D’où l’importance de cette course unique à Clécy, conçue pour tester toutes ces variables dans un environnement contrôlé tout en gardant l’authenticité de l’effort.

Un protocole technologique de pointe

Pendant la course de Clécy, chaque coureur était équipé d’un arsenal de capteurs sophistiqués : gélule gastro-intestinale pour mesurer la température corporelle centrale, capteurs implantés pour la mesure de la glycémie en continu, semelles connectées pour l’analyse biomécanique de la foulée, gilets pour la fréquence cardiaque et respiratoire. Des échographies cardiaques et des tests de vigilance personnalisés ont complété ces données.

Les résultats collectés offrent un regard sans précédent sur le fonctionnement du corps humain soumis à une épreuve aussi extrême.

Une dimension intérieure et existentielle

L’ultra-trail ne se limite pas à la physiologie. Les participants évoquent régulièrement une transformation existentielle : immersion sensorielle, pleine conscience, gratitude face à la beauté des paysages ou introspection profonde. À travers des outils comme la State Mindfulness Scale, les chercheurs ont documenté un renforcement significatif de la capacité des coureurs à ressentir leur corps et à identifier leurs limites physiques, forgeant ainsi une expérience enrichissante, presque spirituelle.

Cette approche rejoint des réflexions philosophiques sur le rapport au monde, à la nature et au présent, en particulier dans un monde digitalisé et de plus en plus déconnecté des réalités du corps.

Recommandations issues de l’étude de Clécy

• Individualiser l’entraînement : chaque coureur est unique, l’écoute corporelle est essentielle.
• Souligner l’importance de la récupération : qualité du sommeil et régénération musculaire sont au cœur de la performance.
• Doser l’exposition au stress : la préparation mentale est aussi cruciale que l’entraînement physique.
• Surveiller les marqueurs physiologiques : inflammation, hyperglycémie et troubles du sommeil ne doivent pas être pris à la légère en post-course.
• Éviter l’automédication : notamment les anti-inflammatoires, dangereux pendant l’effort.
• Être attentif aux troubles alimentaires et à l’addiction : des risques parfois invisibles mais bien réels.

Vers une compréhension plus humaine de l’extrême

En définitive, l’ultra-trail se révèle être bien plus qu’un défi physique : c’est une expérience humaine intégrale, où se rencontrent sciences, émotions, valeurs existentielles et résilience. Les apports scientifiques issus de cette étude permettent non seulement d’améliorer les pratiques, mais aussi de mieux comprendre ce qui fait la richesse profondément humaine de ces aventures hors norme.

Les sentiers de l’ultra-trail deviennent alors les chemins du vivant, entre prouesse athlétique, intelligence corporelle et quête personnelle.