Un ancien médicament cardiaque pourrait révolutionner le traitement du cancer du sein métastatique

Un médicament utilisé depuis plus d’un siècle pour traiter certaines maladies cardiaques, la digoxine, pourrait bien marquer un tournant dans la lutte contre le cancer du sein métastatique. Des chercheurs suisses ont mis en lumière son étonnante capacité à réduire les amas de cellules tumorales circulantes, offrant ainsi une piste prometteuse pour freiner la propagation de cette maladie dévastatrice.

La menace cachée derrière la propagation du cancer

Le cancer du sein représente l’une des principales causes de mortalité chez les femmes à l’échelle mondiale, en particulier en raison de sa propension à se propager vers d’autres organes vitaux comme les poumons, le foie ou les os. Les traitements conventionnels se focalisent généralement sur la destruction de la tumeur primaire. Toutefois, ils adressent peu les mécanismes complexes de la dissémination métastatique, qui reste à l’origine de la majorité des décès liés à ce cancer.

Publiée en février 2025 dans la prestigieuse revue Nature Medicine, une étude passionnante menée par des chercheurs suisses pourrait bouleverser cette approche. Leur découverte : la digoxine, un médicament issu de la digitaline (Digitalis lanata) utilisé depuis les années 1930 pour soigner les troubles cardiaques, semble capable de perturber la formation des amas de cellules cancéreuses circulantes, acteurs clés de la formation des métastases.

La digoxine : une molécule ancienne pour un nouvel espoir

Dans le domaine cardiologique, la digoxine agit en bloquant les pompes sodium-potassium présentes à la surface des cellules cardiaques. Cette action entraîne un ralentissement du rythme cardiaque et une meilleure contraction du muscle cardiaque. C’est précisément ce mécanisme qui attire maintenant l’attention des chercheurs en cancérologie.

En inhibant ces mêmes pompes au sein des cellules tumorales, la digoxine provoque une augmentation du taux de calcium intracellulaire. Ce déséquilibre calcique endommage les structures d’adhésion entre les cellules – les jonctions serrées et desmosomes – nécessaires à la formation des amas solides de cellules cancéreuses dans le sang. Privées de cette cohésion, les cellules se désolidarisent, ce qui pourrait limiter leur capacité à former des métastases dans de nouveaux organes.

Un potentiel confirmé par les premiers essais cliniques sur l’humain

Après avoir obtenu des résultats encourageants sur des modèles murins, l’équipe suisse est passée à la phase humaine. Neuf femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique ont participé à cette première étude pilote. Toutes présentaient au moins un amas de cellules tumorales circulantes au moment du dépistage initial.

Chaque participante a reçu une dose quotidienne de digoxine pendant sept jours. Des prélèvements sanguins ont permis de surveiller l’état des cellules tumorales circulantes à différents points dans le temps : avant la première administration, deux heures après, puis après trois et sept jours de traitement.

Les résultats sont prometteurs : une réduction moyenne du nombre de cellules par amas est observée, passant de quatre cellules à 1,8 par amas. Aucun effet indésirable grave n’a été signalé, ce qui renforce l’hypothèse d’une efficacité clinique associée à une bonne tolérance.

Un traitement d’appoint pour une phase spécifique de la maladie

Malgré l’enthousiasme que suscitent ces résultats initiaux, les spécialistes – notamment les docteurs Daniel Smit et Klaus Pantel, de l’Université de Hambourg-Eppendorf – appellent à la prudence. Dans un commentaire associé à l’étude, ils soulignent que l’effet observé, bien que statistiquement significatif, reste limité.

Il semble en effet peu probable que la digoxine soit en mesure de stopper la croissance des métastases déjà établies. Son utilisation serait davantage pertinente comme traitement d’appoint, pour freiner l’apparition de nouvelles colonies cancéreuses à un stade très précoce du processus de dissémination.

Par ailleurs, il est important de noter que la digoxine n’empêche pas les cellules tumorales de s’associer à des éléments du sang comme les plaquettes, un phénomène qui favorise également l’essaimage tumoral. Enfin, certaines cellules cancéreuses isolées, même sans former d’amas, restent dangereuses et capables de coloniser d’autres sites.

Vers de nouvelles générations de médicaments dérivés de la digoxine

Conscients des limites de la digoxine dans son état actuel, les chercheurs travaillent déjà sur le développement de nouvelles molécules dérivées, spécifiquement conçues pour accentuer la désagrégation des amas de cellules tumorales circulantes. L’objectif : renforcer l’efficacité tout en minimisant les effets indésirables sur le système cardiaque.

Cette approche innovante ouvre également la voie à des recherches plus larges sur d’autres types de cancers. Si cette stratégie se confirme comme efficace, elle pourrait offrir une nouvelle arme précieuse dans la prévention des métastases, et modifier profondément les protocoles thérapeutiques utilisés actuellement pour les cancers du sein avancés.