Le microbiote des couples devient similaire en 6 mois : un risque pour la santé mentale ?

Une recherche étonnante met en lumière un phénomène jusqu’ici peu exploré : après seulement six mois de vie commune, le microbiote buccal des partenaires amoureux tend à devenir de plus en plus similaire. Cette convergence biologique, loin d’être anodine, pourrait avoir une influence significative sur la santé mentale des conjoints, en particulier si l’un d’eux souffre déjà d’anxiété ou de dépression.

Le microbiote : un écosystème aussi invisible qu’essentiel

Les microbiotes, ensembles de micro-organismes résident dans différents organes de notre corps : intestins, bouche, peau, vagin, chacun constituant un véritable écosystème. Aujourd’hui, les scientifiques s’accordent pour affirmer que ces microbiotes jouent un rôle fondamental dans notre équilibre général. Lorsqu’un déséquilibre — connu sous le nom de dysbiose — survient, cela peut être le facteur déclencheur ou aggravant de nombreuses pathologies : diabète, maladies cardiovasculaires, obésité, eczéma, endométriose, ostéoporose, voire la maladie d’Alzheimer.

Parmi les domaines les plus passionnants de la recherche moderne figure l’étude de l’axe intestin-cerveau. Ce système de communication bidirectionnel entre le cerveau et le microbiote intestinal influence de manière concrète notre comportement, nos émotions et nos capacités cognitives. Certaines souches bactériennes intestinales sont capables de moduler l’activité neuronale et jouent un rôle déterminant dans l’apparition de troubles tels que la dépression, l’anxiété ou encore la maladie de Parkinson.

Quand le baiser devient vecteur du microbiote buccal

Plus récemment, l’attention des chercheurs s’est tournée vers le microbiote buccal. Plusieurs études montrent que les personnes souffrant de troubles psychiatriques — notamment les troubles du spectre autistique, la démence ou la schizophrénie — présentent souvent une altération du microbiote buccal. Cette dysbiose pourrait non seulement être un reflet de leur état de santé mentale, mais aussi un acteur participant aux manifestations symptomatiques.

C’est dans ce contexte qu’une équipe de scientifiques chinois a souhaité explorer la possible transmission du microbiote buccal entre partenaires par le biais du baiser. Leur objectif : savoir si ce mécanisme pouvait, à terme, influencer l’état psychologique des conjoints lorsqu’un seul des deux souffre initialement de troubles liés à l’anxiété ou à la dépression.

Une contamination microbienne mentale chez les jeunes mariés ?

Pour mener à bien cette enquête, les chercheurs ont recruté 268 couples récemment mariés, c’est-à-dire unis depuis moins de six mois. Dans chaque binôme, l’un des conjoints était atteint de troubles mentaux comme l’insomnie, l’anxiété ou la dépression, tandis que l’autre se disait en bonne santé mentale.

Des échantillons de leur microbiote buccal ainsi que leur taux de cortisol salivaire – l’hormone du stress – ont été collectés au début de l’étude et après 180 jours. Les résultats, publiés dans la revue spécialisée Exploratory Research and Hypothesis in Medicine, ont révélé des faits troublants.

Les conjoints initialement sains, après six mois de cohabitation avec une personne atteinte de troubles psychiques, présentaient des signes d’altération psychologique : niveaux accrus de stress, scores plus élevés d’anxiété et de dépression, et une qualité de sommeil en baisse. Les femmes semblaient particulièrement affectées. Fait remarquable : leur microbiote buccal avait lui aussi évolué, ressemblant de plus en plus à celui du partenaire souffrant de troubles mentaux.

Vers une nouvelle ère de la psychiatrie relationnelle ?

Ces résultats soulèvent une question cruciale : et si notre santé mentale pouvait, en partie, être “contaminée” par celle de nos proches, via les échanges bactériens ? Les chercheurs avancent l’hypothèse que la transmission du microbiote buccal au sein de couples vivant dans une intimité quotidienne pourrait moduler les niveaux de cortisol et l’intensité des symptômes anxieux ou dépressifs.

Ils précisent cependant que leur étude se heurte à certaines limites. Les troubles psychiques ont été évalués par auto-questionnaires (ce qui peut introduire des biais), et les prélèvements microbiens ont été effectués sur une zone restreinte de la bouche. De plus, des facteurs comme l’alimentation, l’activité physique ou les habitudes de vie n’ont pas été systématiquement pris en compte. Enfin, le lien observé est une corrélation et non une preuve irréfutable de causalité.

Quelles suites pour la recherche ?

D’autres études, mieux contrôlées et sur des périodes plus longues, seront nécessaires pour valider ces résultats préliminaires. Si la relation entre microbiote et santé mentale s’avère effectivement causale, cela ouvrirait la voie à une approche révolutionnaire du traitement des troubles psychiatriques, prenant en compte non seulement l’individu, mais aussi son environnement affectif et biologique immédiat.

Il faudra alors peut-être, dans un avenir pas si lointain, considérer les couples comme des unités biologiques à part entière, où la santé d’un partenaire influe directement sur celle de l’autre – jusqu’au cœur de ses bactéries.